Un peu de tri !

lundi 30 juin 2014

VDV #67 : Floréal, parce qu'il le vaut bien !

Mettre les pieds dans la terre, quitter le clavier et enfiler les bottes, serrer des paluches et croiser le regard fier de celui qui vous propose à boire... Autant de raisons qui poussent l'amoureux de la vigne et du vin à se mettre parfois quelques coups de pied au cul, pour quitter son clavier boboïsant de blogueur des villes et d'enfin rejoindre ceux qui lui font vivre sa passion.

C'est le thème que notre érudit polyglotte du goulot, Patrick Böttcher, a choisi pour nous en ce mois de juin, théâtre de cette 67ème édition des vendredis du vin. Partir à la rencontre du vigneron, se souvenir, remonter à la source de cette addiction vivifiante que peut être le contact humain, passionné, sur fond de boutanches à déguster. J'aurais pu vous parler de ces premiers rendez-vous timides dans les maisons bordelaises, en famille ; de l'odeur des caves de tuffeau, où dans la sombre fraîcheur de leur silence, du haut de mes dix ans, je découvrais une autre Loire des châteaux ; de mes balades à la vigne, avec l'école, dans le frontonnais jouxtant mes premiers pas à la maternelle... Bref, remonter aussi loin que la passion l'impose, toujours présente à mes côtés, attendant simplement que mes papilles atteignent la maturité suffisante pour que je puisse comprendre enfin ce qui m'arrivait.

Il n'y a donc pas de départ, simplement des étapes, des photos ancrées dans le souvenir, faisant vivre dans le temps le plaisir de côtoyer ce divin nectar aux côtés de ceux qui le font vivre. Oui, j'aurais pu vous parler de ces journées de vendanges partagées avec bonheur, du bout des doigts certes, mais se retrouvant au cœur d'un quotidien que l'on ne peut imaginer derrière un écran. J'aurais pu vous parler de mon arrivée dans l'Aude, terre vigneronne par excellence...

Je pourrais vous en parler, je vous en parle et je continuerai à le faire.

Car si le plaisir se nourrit des rencontres, si le souvenir alimente la mémoire de tous ces moments, s'en détourner un instant pour considérer, le regard gourmand, les opportunités futures à saisir, permet aussi d'entretenir cet appétit. Emboitons donc le pas incertain du présent, profitant ainsi de la poignée de main du moment pour perpétuer la passion qui nous anime. 
Bienvenue en terre gasconne, chez Claudine et Floréal Roméro...

De passage dans la région, il n'était pas possible de traverser ces terres vigneronnes sans envisager une petite halte vinique au pays du canard, de l'armagnac et du Tariquet ! Bien heureusement, dans cet enchevêtrement de vignes aux allures de garnison, quelques ceps furent exemptés de service militaire. Eux, peuvent ainsi explorer de façon libre, un terroir malheureusement sous-exploité, du fait de cette culture du garde à vous, trop largement implantée sur les vallons gersois.

Le Domaine le Bouscas, c'est un peu plus de 7 hectares en bio depuis bientôt une quinzaine d'années, un registre ampélographique faisant la part belle aux blancs (colombard et ugni blanc), mais ne délaissant pas les tanins, avec quelques hectares de tannat. On y croise aussi un cabernet-franc dans l'attente d'un bichonnage en règles débuté il y a peu, pour pouvoir se révéler d'ici une paire de vendanges...
Pour comprendre un vin, on a tendance à croire qu'il suffit de le goûter. Mais apprendre à connaître ceux qui ont transpiré pour permettre aux verres de se retrouver pleins, se révèle souvent être un bien meilleur baromètre de l'analyse d'une bouteille. La découverte de ce petit bout de Gascogne libre ne se limitera donc pas à un échantillonnage liquide passant sur le grill de nos papilles.  

Nous commençons donc la découverte des lieux par un tour indispensable dans les vignes. Ici, les rangs sont enherbés ou labourés une année sur deux. La faune et la flore sont bien présentes, certains voient ça comme un bordel plutôt sale, mais personnellement je n'ai jamais pensé que la vie ressemblait à un cordeau aseptisé sans rencontre possible... Les seuls endroits vides que je connaisse, sont rarement des lieux propices à l'épanouissement, et que l'on parle de raisins, de lombrics, de pâquerettes ou de mes prochaines vacances, le problème reste le même.
Bref, ici, le raisin se fait des copains et ensuite, il le rend bien. Car après cette promenade bien agréable, c'est dans la cuisine familiale, autour d'une tablée ayant sûrement connu bien des réjouissances, que nous nous retrouvâmes pour goûter. Nous commençons par La Cuvée 100 Noms 2012, un assemblage rond et bien traçant autour de la petite prune et de l'abricot. Nous passons ensuite à la cuvée Maeva 2012, du nom d'une des deux filles de la maison, un 100% colombard, plus ample et plus généreux que le premier jus dégusté. On se voit bien à table, avec une volaille ou un beau plateau de fromages, Maeva laissant rebondir ses douces notes de fleurs blanches, de poire, de vanille et de miel, sur chaque coup de fourchette : une bien belle bouteille. 

Avant de partir au chai et de découvrir les autres jus du domaine, nous dégustons La Dulcinée 2005, un colombard botrytisé à l'acidité mordante, mêlant citron et coing dans une gourmandise intense. Le vin est riche mais pas fatiguant, on s'en régalera d'ailleurs le lendemain, sur un pastis gascon, avec un plaisir difficilement dissimulable.

Le chai révèlera ensuite des blancs amples, ouverts et bien équilibrés, et un Vaïhana 2012, 100% ugni blanc, qui rejoindra prochainement l'embouteillage. Les 2013, peu prolifiques, s'annoncent très prometteurs et continuent leur travail. Autre gros plaisir, ce tannat rosé, Sang Clair 2013, un jus gourmand n'ayant pas totalement fini ses sucres et qui file dans le gosier comme un quatre heures après une bonne journée de travail. 

Ici, on travaille avec de la cuve en fibres de verre uniquement, Floréal aimerait tenter de glisser quelques litres dans du bois, mais ce sera pour plus tard. Côté vinif, on laisse faire, ajoutant simplement, avant la mise, un chouilla de sulfites. Les interventions, c'est à la vigne que ça se passe, si le raisin rentré est propre et bon, y a pas de raison d'aller contrarier le bon déroulement des choses, une fois les levures en action.
Malgré tout, parfois, le hasard, la petite tuile inattendue, se mêlent un peu de ce qui ne les regarde pas. Ainsi, devant cette Dulcinée 2011, les regards se font hésitants de toute part. Car il y a eu un petit problème : une chambre à air d'un chapeau flottant qui se perce, et voilà que la cuve prend une légère tournure oxydative. Floréal hésite à tout balancer, mais Claudine fait le forcing... et en cette journée de juin, force est de constater que cette dernière avait raison : un jus puissant, miellé, au fruit vif et largement ouvert. Un immense coup de cœur pour ce rescapé du front. Vu le profil particulier de cette cuvée, pas sûr qu'elle garde son nom, mais le principal reste tout de même que ce nectar soit bu. Le charme de l'imperfection dans toute sa splendeur...

Il est maintenant l'heure de retourner à l'intérieur, l'orage se précise, la grêle semble ne pas vouloir pointer le bout de son nez, tant mieux, mais ça pisse dru. On goûte alors un verre de Sang Chaud 2012, un tannat vif et structuré, une miche de pain se pose sur la table, un couteau, du pâté... L'échange est convivial, on boit plus qu'on ne déguste, le plaisir est intense. On retourne sur un liquoreux répondant au doux nom d'Ar Garedig, un colombard de 2004 avec 85 grammes de sucres, ayant séjourné 4 ans dans des fûts d'acacia, avec un prise de voile lui conférant cette note oxydative si particulière. D'une folle complexité, cette cuvée à consonance bretonne, est un merci tout en vivacité à la solidarité venue soutenir le domaine lors d'un passage compliqué financièrement. 
Et aujourd'hui les projets ne manquent pas, entre les bâtiments à rénover, les cabernets à palisser et tout un domaine à faire tourner, il est certain que Floréal et Claudine ont de quoi s'occuper. Gageons que les difficultés passées ne seront bientôt que mauvais souvenirs, car à Gondrin, sur cette colline de raisins s'épanouissant tels des affranchis de la pensée unique, se joue une partition liquide qui vaut le détour. Une partition remarquable, rendant cette rencontre unique, dans un quotidien fait de choix de vie, de sacrifices, de passion, d'espoir et savoir-faire. Une rencontre qui inspire le respect, l'admiration et le plaisir, car à la fin, quoi qu'on en dise, les verres se remplissent de ces histoires, pour le plus grand bonheur de nos papilles, certes, mais de bien plus encore...

David Farge "ABISTODENAS"

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