Un peu de tri !

mardi 22 avril 2014

Au détour d'une averse, Collioure et La Tour Vieille.

C'était une de ces journées que le ciel avait décidé de teinter de gris, un de ces rappels printaniers, que beaucoup prenaient déjà pour un été, versant son infinie palette de gris sur un pays que beaucoup voudraient dévoué à Hélios. C'était une journée de spleen dominical, de repos confiné, une journée où la paresse devait être un maître mot. Ce gris était-il un appel au délassement forcé ? À moins qu'une précaution divine ne soit venue s'enquérir de cette tragicomédie-gourmande réservée à l'agneau pascal, forçant le destin gouteux de ces jeunes ovins vers les bords d'assiettes. Préoccupée par les coudées franches des tablées familiales, la chaleur se devait ainsi, peut-être, d'emplir les foyers et les fourneaux, délaissant un instant les ruelles des colliourencs pour le doux murmure d'une pluie venant nourrir goulûment des sols assoiffés depuis quelques temps déjà.
Mais nous étions là, profitant de la clémence toute relative d'un ciel d'encre, pour pouvoir jeter un regard nouveau sur ces paysages d'aquarelles que Matisse figeait en son temps, dans la naïveté de ses teintes enfantines. Alors, quand un ultime grain eut raison de nos velléités de bord de mer, que l'appel du large fut contrarié par le charme furieux de cette journée de grisaille, la découverte et l'incitation au voyage prirent place aux creux de quelques bouteilles locales, dénichées au hasard d'un abri de fortune. Une tonnelle, derrière laquelle le rouge profond de quelques flacons se devait de réchauffer la froideur infligée par ces invectives ruisselantes.
Cette avancée sur la ruelle, c'était celle du Domaine La Tour Vieille. Un domaine dont j'avais entendu parler via les écrits de Michel, plume locale, dictionnaire encyclopédique du bien boire en terre catalane. Mais un domaine que je n'avais pas pris le temps de découvrir, les plages et autres plaisirs du littoral redistribuant parfois les cartes, délaissant ainsi la passion à un rang que le repos et la paresse doivent savoir parfois tenir à distance. Bien heureusement, le temps sait aussi rattraper les erreurs et de cette rencontre découlera bien vite de nouvelles aventures sur les terrasses escarpées du domaine. 
Vu la topologie des lieux, vous comprendrez aisément que le domaine ne soit pas mécanisé et que mains et genoux soient mis à rude épreuve dans le dédale de murs de pierres sèches striant ce paysage de vignes penchées sur la mer. Les schistes anguleux façonnant le paysage accueillent dignement le répertoire tortueux des cépages locaux. On commence par un beau blanc : Les Canadells, aromatique, une belle discussion de grenaches, roussane, macabeu et vermentino. Un jus qui cause, frais et fluide, appelant le poisson, un grill, quelques sourires et un brin de soleil.
La déclinaison de rouges que propose le domaine se démarque rapidement par l'extrême finesse composant ces trois vins aux personnalités bien différentes. 

La Pinède, un grenache assaisonné d'un trait de carignan, tout en souplesse et gourmandise. Pas très vibrant mais efficace... Puig Oriol, met à l'honneur une syrah fraîche, faite de dentelle. Un vin floral, encore jeune mais déjà caressant. Enfin le mourvèdre se taille la part belle d'une dernière cuvée. Une cuvée qui, je dois l'avouer, ne m'a pas laissé indifférent, un jus encore un fois très fin, un grain parcourant la bouche comme un de ces galets d'enfant roulant entre les doigts potelés de celui qui croit avoir trouvé un trésor. Pourtant le vin présente un belle structure marquée par d'envoutantes notes de fumée, de cacao, enrobant un fruit noir juste sorti de son buisson. La finale propose une amertume élégante rappelant le charme acéré d'un relief, berceau de cette naissance remarquable emplissant mon verre. Vous l'aurez compris, ce Puig Ambeille aura eu toutes mes faveurs... mais en aucun cas éclipsé ses confrères attablés à ses côtés. Bref, une gamme révélatrice d'un terroir, d'une identité sans fard, que des élevages trop marqués pourraient maquiller (on utilise d'ailleurs que de la cuve ciment ou inox).

Mais l'identité locale ne peut exister sans la présence des vins doux naturels. Ces jus doucereux ou plus caractériels, fruit d'une manipulation de filou, consistant à ajouter de l'alcool au cours de la fermentation, pour stopper le travail des levures et ainsi protéger un "capital sucre" que les babines gourmandes aiment à embrasser à l'heure du goûter, du dessert ou d'une plage de méditation...
Le petit de la bande, le Rimage, un jus de fruit souple et efficace, faisant le plaisir des soupes de fraises et autres petites douceurs acidulées, est une très belle découverte, souple et sans lourdeur. Une Mise Tardive ajoute une pointe de complexité d'un beau classicisme à la gamme, quand le Réserva lève le voile sur l'univers magique de l'oxydation, porté par ces vins ayant forgé leur personnalité dans des bonbonnes de verres livrées aux écarts de température d'une année de pénitence, avant d'affronter quelques années de repos dans les caves du domaine.

On aurait pu en rester là, mais c'était sans compter sur le poids des traditions... Si ce week-end a vu la descente aux enfers de l'USAP, d'autres monuments trônent encore dans les cœurs et les caves des catalans. Le Rancio sec, y a élu domicile depuis bien des années déjà. Mais aujourd'hui l'humble et modeste nectar des arrières caves retrouve les faveurs de la place publique. Engouement mérité pour ce jusqu'au boutiste de la cuve, véritable vin de patience ayant péniblement achevé son travail en mangeant la totalité de ses sucres avant un repos lénifiant mais indispensable pour parfaire la sémantique absconse de ce vin pas comme les autres. 

Ici, la découverte de ce discret personnage des étals liquides, passe pour un porte ouverte sur le temps. Grenache et carignan se mêlent dans une fraîche mélodie épicée ayant pris racine au creux de quelques fûts "à l'abandon", comme pour mieux protéger l'intimité du message complexe que le temps délivrerait sur eux. Et l'on se voit déjà, croquant quelques tranches de jambon patiemment affiné, profiter du discours cajoleur que seuls les rancios peuvent susurrer au creux du palais. 

Tiens, l'averse est passée, depuis combien de temps ? Sûrement déjà quelques minutes... Mais le temps de cette découverte, le gris colorant le ciel fut balayé par la chaleur sincère de ces vins. Ici, point d'étiquettes racoleuses ou de maquillage putassier, l'écrin naturel dans lequel baigne le résultat de ce travail se suffit amplement. Un groupe d'anglais entre, ils seront bien reçus, car si l'eau refroidit les corps, elle ne dilue pas les esprits, ni l'âme de ces vins patiemment sculptés au fil des humeurs changeantes du temps.

David Farge "ABISTODENAS"


2 commentaires:

  1. Eh ben voilà ! Tu vois que la pluie a du bon. J'espère quand même que vous avez pu profiter des schistes et des chênes lièges. Le Cap de Creus est un don du ciel. À une autre fois.

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    1. T'inquiètes, le mauvais à cela pour lui : il sait prendre soin des panses...

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