Un peu de tri !

mercredi 28 janvier 2015

CINSAULT(veur) #10 : Le Marlon Brando du Languedoc.

Dans la frêle lumière d'une nuit bien avancée, se déhanchant lentement au creux d'une fumée trouble que les cigarettes entretenaient, bientôt, se dessine la silhouette de Jeff. La marmite fumante d'un bourguignon semble peser de tout son poids pour que les minutes de cet instant de partage épicurien deviennent des heures. Les ventres sont bien tendus, les esprits vagabondent de verre en verre, de bons mots en éclats de rire. Jeff vient de remonter de sa cave. 
Une bouteille prend place au milieu de cette joyeuse assemblée, le verre ciré et poussiéreux de ce nouveau partenaire laissant penser à un de ces vieux crooners en costume trois pièces délavé. Nous le saluons d'un regard, l'invitant à rejoindre l'ambiance embrumée de notre réunion aux faux airs de speakeasy dans lequel on étanchait sa soif du temps de la prohibition.
Mandaté par notre hôte vigneron du soir pour déboucher l'épilogue liquide de ce dîner (épilogue qui n'en fut évidemment pas un), je me penche donc sur l'étiquette maladroitement collée sur le flanc de ce flacon délavé par le temps. Trônant entre mes mains, un magnum de Copains 2003, expression ultime des cinsaults du domaine. Une bouteille rare, car avant 2013, cette cuvée concoctée il y a une décennie maintenant était la dernière du genre. Ainsi, les papilles alertes, le verre attendant patiemment qu'une constellation de petits éclats de cire libère un bouchon qui n'attendait que ça, je m'attèle ardemment à la tâche, avec toute la patience et la méticulosité qu'une fin de repas enlevée veut bien délivrer.
Qu'il doit être surprenant, après un tel repos, de se retrouver dans cette ambiance surréaliste de tripot surexcité, où les mises sont liquides, et les règles, celles du simple bavardage assourdissant. Malgré tout, le pas assuré, voilà que notre nouveau copain glisse maintenant au creux de nos verres...

La robe légèrement tuilée, arborant à s'y méprendre le grenat brillant d'un velours de casino, trahit sensiblement le poids des années nécessaire à l'apprentissage du jeu sans retenue. Là, où son cadet, tout juste débarqué sur scène, se montrait mordant et précipité, ce jus maintenant devenu adulte prend son temps. Il sort sa blague à tabac, laissant flotter l'odeur de quelques feuilles séchées au dessus du verre. L'expression aromatique est subtile, florale, mais exprime aussi un caractère bien trempé que la bouche s'empresse de révéler. Car derrière la légèreté du ton, c'est bien un propos sombre, sanguin, baigné de la fumée pensive d'un cigare qui s'étale aux quatre coins du palais. Une parole percutante, portant l'énergie et la vivacité d'un voyage initiatique d'une décennie, aujourd'hui achevé au creux de nos verres. Le fruit mordant des débuts n'a rien perdu de sa verve, il s'est juste étoffé d'un brin d'assurance, baignant nos papilles de la richesse d'une histoire ayant éclipsée le lointain clinquant d'une jeunesse encore mal assumée. 
Cette bouteille de Copains 2003, c'est finalement un peu du Marlon Brando dans le texte. Rebelle et incorruptible Emilano Zapata à ses débuts, fougueux révolté de la cause du peuple ; il finit, l'âge aidant, par s'installer au creux du respecté fauteuil de Parrain, imposant ainsi d'un simple regard, celui de Don Corleone, son évidente hégémonie.

Merci à toi Jeff pour ce beau moment de poésie liquide made in cinsault. Un flacon qui forge encore un peu plus l'idée noble que l'on peut se faire de ce cépage le plus souvent dévolu aux seconds rôles. 

Les grands vins comme les grands hommes ne naissent pas dans la grandeur, ils grandissent*, aurait peut-être pu extrapoler Mario Puzo. C'est en tout cas, pour moi, l'image véhiculée par cet admirable flacon. 

* La citation originale de Mario Puzo, dans son roman Le Parrain, étant : " Les grands hommes ne naissent pas dans la grandeur, ils grandissent.

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CINSAULT(veur) à la carte...

Carte des cuvées de cinsault dégustées sur le blog :

2 commentaires:

  1. Ah que vous ayiez un talent rare avec les mots et les déscriptifs David. C' était un ravi de vous rencontrer samedi et j'espere de vous voir encore une fois. Entretemps je vais repaitre le plaisir de lire les mots sages.

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    1. Merci beaucoup. Cette rencontre fut un plaisir partagé... On se recroisera sûrement un de ces jours chez Jeff ou ailleurs.

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