Un peu de tri !

mercredi 7 mai 2014

On a failli rater le Coche !

Oui, on a failli rater le Coche. Ce n'est pas passé bien loin. Et puis ça nous apprendra, car ce ne sont pas des attitudes à avoir, non mais des fois ! Le Coche c'est ce Puligny-Montrachet Les Enseignères 1999 de Jean-François Coche-Dury. Un flacon offert à nos papilles par un ami de passage.

Le genre de bouteille que tu regardes un peu de travers quand elle vient poser son culot sur le plan de travail de la cuisine. Encore fraîche, elle n'aura voyagé que quelques centaines de mètres ce jour-là, pour venir rejoindre nos verres toujours impatients de découvertes...
Mais curiosité et impatience doivent se conjuguer avec énormément de précautions, sans quoi l'on pourrait s'attirer les foudres du caractère parfois obtus de ces poussiéreux de la collerette. Parce qu'après quinze années passées à l'écart de tout tintement de verres, il est parfois des réveils plus compliqués que d'autres.
Alors, à trop vouloir sacraliser certaines bouteilles, on en vient rapidement à manquer d'altruisme face à certains principes croulants sous le bon sens.

« Laisser le temps au temps... », tiens, en voilà de la maxime simpliste. Le genre de sentence patente, tellement évidente, qu'on pourrait la voir s'étaler sur les murs d'une cuisine redécorée par Valérie Damidot, ou taguée au blanco sur le bureau d'un collégien.

Et pourtant... 

Une belle assiette de cailles aux morilles devant le nez, la bouteille débouchée sur un coin de table, les premiers verres se remplissent de ce jus sacralisé par la spéculation des uns et le bon goût des autres. Premières impressions teintées de retenue. On se regarde, ce nez légèrement poussiéreux évoque-t-il un léger bouchon ? L'élevage, bien présent rappelle la noisette et des notes fumées agréables, mais la bouche révèle rapidement un creux que l'on ne saurait accepter sur un vin de ce calibre. Éclaboussé par le clinquant de l'étiquette, les spéculations vont bon train. On se ressert, on sent le vin s'ouvrir peu à peu mais rien de hiératique dans ce fond de verre que l'on balade maintenant depuis deux heures de la truffe au gosier, sans penser un instant que le dynamisme d'un patriarche aux tempes grisonnantes ne se révèle pas au saut du lit, le genou grinçant et l'esprit endolori.
Quel manque de respect ! Quelle manque de sagacité ! Aveuglé par le pedigree d'un nom, l'avidité dont nous avons fait preuve, a toutefois trouvé son épilogue dans un final teinté de frustration et de honte. En effet, dans un éclair de lucidité, je gardais un demi verre à distance respectable de tels agissements. Avec un peu de chance, le vin y trouverait le temps de se dérouiller un peu. Après bien plus d'une décennie confiné derrière sa paroi de verre, peut-être trouvera-t-il le temps, dans le brouhaha d'une assemblée partie sur d'autres rivages pinardiers, de se faire un brin de toilette, pour revêtir les contours d'une garde-robe dont il semble mériter le contenu. 

Et à l'heure où la sieste semble poindre au creux des regards d'une assistance repue, voilà que notre émissaire bourguignon, le torse bombé, exhibant fièrement ses galons rutilants, vient sereinement toquer au carreau. Alors, en buveur patenté, le nez d'un Rantanplan au dessus du verre, force est de constater que la grâce venait de toucher le cristal de ce qui paraissait encore être un gobelet de blanc, quelques heures auparavant. Plus de soupçon de défaut, si ce n'est la confirmation d'une défaillance des dégustateurs en carton que nous fûmes face à cette bouteille. Un vin d'une élégance rare, pur, racé, d'un équilibre n'ayant d'égal que sa profondeur gagnée au fil des heures, récitant sa partition classique dans la polyphonie complexe d'un enchevêtrement de portées aux valeurs supplétives.
Va courir un marathon après avoir passé trois jours dans une boîte à chaussures ! Mais après tout, cela nous apprendra à traiter ce genre de vins comme des despotes nord-coréens, surtout quand les dernières larmes de ce Puligny-Montrachet se révèleront de parfaites ambassadrices d'une frustration méritée.

Et de citer Rabelais comme une ultime piqûre de rappel à cet indécent et juvénile incident :

« Le temps mûrit toutes choses ; par le temps toutes choses viennent en évidence ; le temps est père de la vérité. »

David Farge "ABISTODENAS"

2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup les textes que tu écris. Je lis régulièrement ton site et je dois dire que c'est à chaque fois une très belle découverte. Je voulais te laisser une petite trace de mon passage :)

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    1. Merci beaucoup Mélanie, au plaisir de trinquer ensemble !

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