Un peu de tri !

mardi 15 juillet 2014

Limoux n'est pas une petite Champagne !

La Coupe du Monde est terminée, tout le monde s'en est bien rendu compte. Mais, il y a un mois déjà, en ce dimanche soir d'ouverture pour notre équipe nationale, c'est en terroir limouxin que je décidais de me faire le porte drapeau d'un triptyque pas si éloigné de celui faisant courir nos joueurs de ballon tricolores, la fameuse trilogie locale : Bulles, Blanc, Rouge.

Du fait de leur primauté historique, reléguant Dom Pérignon et sa méthode champenoise à l'ère moderne, quand on arpente le terroir de Limoux, on pense presque immédiatement au frisant de ses bulles régionales.  Mais aujourd'hui, Limoux, c'est un éventail varié de jus mettant à l'honneur des cépages empruntés au Sud-Ouest, sous des latitudes ne négligeant pas les embruns méditerranéens.

Comme chacun sait, pour profiter de toute production locale, rien ne vaut : quelques petites adresses, deux, trois producteurs fétiches, une taverne secrète, ou tout autre révélateur de l'âme d'une région, d'un terroir. Mais parfois, faire table rase, et confronter objectivement les différentes sensibilités du coin, permet aussi de se faire à l'idée qu'autre chose existe. Que la dimension personnelle et exclusive que chacun essaie de cultiver, comme un jardin des sens secret, dans lequel on viendrait chercher son épanouissement, se faire tinter les papilles de joie, ne soit pas la seule quête de vérité animant tout épicurien à la curiosité assumée.
Ainsi, on s'expose à la déception, mais aussi à la confirmation ou à la remise en question de choix parfois empreints d'un fanatisme que l'on aimerait imposer en "discours de vérité". Mais comme le vin n'est en rien une question de prétention, surtout quand on est relégué au rang d'amoureux de la chose, le regard que je puisse jeter sur les inspirations liquides de cet ouest audois si proche de chez moi, mérite parfois des remises à plat nécessaires.

À l'occasion donc d'une de ces découvertes du pays à destination des curieux du métier, je me greffais à la chose, ayant dans l'idée que quelques jus sympathiques de nos voisins limouxins pouvaient nous faire passer une bonne journée. Après avoir fait la connaissance d'un autre régional de l'étape, le célèbre vino-comico-illustrateur Rémy Bousquet, nous voilà partis pour une dégustation pleine d’éclectisme autour de tout ce qui peut se faire à Limoux. Loin de moi l'idée de vous imposer un compte-rendu de cet aperçu régional mêlant grosses maisons, jeunes gars et indépendants affirmés de la cause limouxine, car l'issue de cet indigeste récit monocorde, ne ferait que mettre en lumière une subjectivité de goût sans réel intérêt pour l'occasion.
Non, au-delà de mes conclusions personnelles, c'est plutôt dans une réflexion ouverte sur les bulles que je voudrais m'engager : Y a-t-il un complexe identitaire à Limoux ?

Car même si l'origine des bulles reste une fierté régionale, le complexe face au géant champenois est évident. À table on parle positionnement, grandes cuvées, quilles à plus 30 euros... La discussion est intéressante, les analogies s'enchaînent, mais au jeu de qui aura la plus longue, il est clair que la Champagne possède bien plus de quelques Rocco dans ses rangs. Alors à quoi bon ? Si boire du Limoux permet simplement d'établir une ressemblance avec le champagne, autant exiler sa cave du côté de Reims... J'ai ainsi malheureusement pu croiser bon nombre de cuvées à la prétention avouée, supportant maladroitement des dosages lourds, gommant presque immédiatement toute identité locale. Vous me direz que le problème reste le même en Champagne, où bon nombre de maisons n’exhibent pas leur jus dans le plus simple appareil, préférant des dosages putassiers, censés plaire au plus grand nombre. Mais quand on n'a pas les épaules ou le portefeuille foncier de la Champagne, autant charmer la clientèle avec ses atouts, et éviter le maquillage vulgaire, non ?

Ainsi, pourquoi cette interrogation ? Surtout venant de la part de quelqu'un qui ni pipe rien au marketing et autres réjouissances chiffrées... Simplement parce qu'aujourd'hui, la multiplication des cuvées brut nature s'accompagne trop souvent de l'argument simpliste de la mode, dépeignant ainsi un goût marginal, éphémère et sans réelle identité. Et pourtant...

Cela fait bien des années déjà que cette mise à nu des terroirs m'interpelle au plus haut point. Je ne vais pas dénigrer les blanquettes et autres crémants "traditionnels", mais aujourd'hui c'est un petit cri d'amour que j'ai envie de lancer à ma région et à son savoir-faire. Car finalement, si l'on s'affranchit de la dimension commerciale, carcan impersonnel et rassurant, ce qui fait avancer la chose, reste avant tout la confiance. La confiance en son raisin, se suffisant le plus souvent à lui même, quand il est bichonné à longueur d'années.
Le résultat ? Des bulles non dosées, sans ajout de liqueur, maquillage inutile quand le charme du naturel se dégage déjà allègrement de ces jus vifs et avenants sur la jeunesse. Des vins fait de mauzac dans leur version blanquette, ou de chardonnay, chenin, pinot, du côté des crémants. Dans les deux cas, nous sommes dans des vinifications champenoises. C'est à dire que l'on élabore dans un premier temps un vin blanc que l'on met en bouteille avec quelques levures et un peu de sucre : la liqueur de tirage. Une fois encapsulé, on procède à la mise sur latte, permettant la transformation des sucres en alcool et en gaz carbonique, c'est la prise de mousse. On effectue ensuite le dégorgement, qui sous l'effet de la pression permettra d'éliminer les résidus de fermentation. C'est à ce moment là que se pose le choix de l'ajout d'une liqueur d'expédition pour venir combler le petit manque de liquide dû au dégorgement. Si certains choisissent d'additionner vin, sucre et eau de vie, les partisans du brut nature se contentent d'un ajout simple de vin.

Il n'y a pas véritablement une méthode meilleure que l'autre, mais il est vrai, qu'un vigneron produisant une matière première de belle qualité, essaiera, autant que possible, de ne pas dénaturer son vin par l'adjonction d'une telle liqueur camouflante.

Il est donc question de confiance... Et ce soir là, en la présence de Bernard Robert, du Domaine de Fourn, le potentiel de ces jus régionaux allait véritablement se révéler. Dans une dégustation verticale des vins du domaine, une Blanquette 100% mauzac de 1974, dégorgée à la volée pour l'occasion, sans apparat, parut d'une folle complexité, rebondissant entre les fruits secs, le miel et quelques notes de raisins de Corinthe. Une bien belle pièce quadragénaire se suffisant à elle même. L'expression ultime d'un terroir au travers des âges, sincère et encore bien vivant. Sous le regard de ses jeunes cadettes régionales, telles que peuvent les proposer Gilles Azam (Domaine les Hautes Terres), Étienne Fort (Château Saint Salvadou) ou encore Marie-Claire et Pierre Fort (Domaine de Mouscaillo), ces bulles d'un autres temps prouvent s'il en était besoin, que les bulles de Limoux sont de très beaux vins pouvant traverser le temps avec une vivacité et une expression propre.

Je parle peut-être d'un goût personnel, très tranché, mais n'ayant jamais eu l'impression d'avoir besoin d'être majoritaire pour avoir raison, j'assume pleinement ce choix. À Limoux, et d'autant plus sur les très beaux terroirs de Roquetaillade, ne se cache pas une petite Champagne. Non, à Limoux, au pied des Pyrénées audoises, se love simplement une identité propre que ces bulles pleines de franchise m'amènent à célébrer. 


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