2 blogueurs, une 2 CV rouge et blanche, 3 jours le long de la
mythique Nationale 7, 300 km de Lyon à Avignon, 35˚ à l’ombre, beaucoup
de belles rencontres... Valises à la main, quittant la Cité du Chocolat, nous voilà dans les rues de Tain l'Hermitage, avançant d'un pas décidé vers un mythe accroché à flanc de colline...
Il est des rencontres que l'on aborde le cœur plein d'affection, d'autres, l'esprit plein de certitudes. Et puis, lors de ces pérégrinations bachiques du modeste aficionado du goulot que je suis, attaché au terroir et aux rencontres, il y a aussi les moments où l'on se frotte aux symboles. La maison Jaboulet, et plus encore la colline de l'Hermitage, sont de ces monuments de la culture vinique française que l'on approche toujours avec l'appréhension d'un gosse face à son prochain contrôle d'Histoire. Un passé, un présent, des hommes et la terre : le point de départ de bien des réjouissances !
C'est donc avec notre garde-robe à roulettes à la main que nous rejoignons vers 17 heures le Vineum Paul Jaboulet de Tain l'Hermitage. Dans ce bel établissement à la gloire des vins de la maison, nous sommes attendus par Jacques Desvernois, œnologue de la maison Jaboulet et faiseur de vins au quotidien. Claquettes et bermuda de rigueur, l'accueil est chaleureux et la découverte d'une pièce climatisée, après quelques heures au volant de notre 2 CV par plus de trente degrés, résonne encore comme une renaissance inespérée.
Nous nous installons donc à l'arrière du bar pour une petite dégustation des belles cuvées de la maison avant de passer aux choses sérieuses et de rejoindre la colline de l'Hermitage pour une découverte in situ de l'appellation.
L'appellation Hermitage est une appellation septentrionale du Rhône située sur la rive gauche du fleuve. À cet endroit précis, le Rhône y fait un coude, permettant à la fameuse colline de se retrouver face au soleil. Roussanne, marsanne et surtout syrah peuvent ainsi profiter d'un solarium de tout premier choix pour peaufiner leur maturité. Mais, outre cette généreuse exposition offerte par Dame Nature, c'est toute la topologie des lieux qui, grâce à cette anomalie de tracé, s'en trouve chamboulée. En effet, la partie ouest de la colline, terroir appelé Les Bessards, est un premier mamelon granitique... comme les sols que l'on peut retrouver sur la rive droite, vers Tournon, juste de l'autre côté du Rhône. Alors que le reste de la colline se compose de sols plus ou moins calcaires et caillouteux, cette différence de terroir, propre aux Bessards, permet de disposer de raisins aux profils très différents. Exposition, sols, altitude et savoir-faire sont ainsi autant de paramètres donnant à la colline de l'Hermitage son côté unique.
Et bien, simplement, parce qu'un chevalier du nom de Stérimberg (Gaspard de son prénom), de retour de croisade contre les Cathares et ayant eu la main un peu lourde à l'encontre de ces hérétiques albigeois, fit une sorte de dépression post-traumatique. De ce fait, il établit un ermitage en haut de la colline, afin de s'y repentir. Depuis, la légende galope à flan de coteau alimentant le mythe...
Mais revenons à la maison Jaboulet. Présente sur les pentes du Rhône depuis 1834, cet historique établissement familial, producteur et négociant en vins, fut racheté en 2006 par la famille Frey. Depuis, une évolution est en marche avec, notamment, une conversion en Bio de toute la production pour 2015, déjà effective sur la colline de l'Hermitage depuis 2007. Une colline que nous venions mettre à nu, de la terre au verre...
Ainsi, après une découverte de quelques millésimes 2010 produits par le domaine, dont un belle Côte-Rôtie, Domaine des Pierrelles, côte blonde en robe de sang au délicat parfum de jasmin, nous attaquons la fameuse colline par le second vin de la maison : La Petite Chapelle, sur le millésime 2007. Un vin charnu qui présente une certaine gourmandise portée par des notes de grué de cacao et quelques effluves pétrolés vivifiant l'ensemble. Mais, quand la comparaison avec l'emblème du domaine doit être faite, il devient préférable d'éviter tout jugement, tant la classe de La Chapelle, sur ce même millésime, domine la tablée. Un vin qui, l'opportunité aidant, ne pouvait être bu dans l'enfilade analytique d'une dégustation protocolaire. Ainsi, nous retrouverons cette fameuse bouteille, quelques 200 mètres plus haut, dans un cadre correspondant plus encore à la stature de ce flacon... En attendant, nous finissons par deux très beaux blancs, fins et élégants, loin des masses corpulentes que le Rhône livre parfois. Entre l'Hermitage blanc, Chevalier de Stérimberg 2011, porté par l'acacia, la noisette et le chèvrefeuille, et le Condrieu 2012, Domaine des Grands Amandiers, développant de beaux amers, des agrumes et de légères notes d'abricot sec, l'impression de fraîcheur, plus ou moins antinomique avec la région, fait pourtant l'unanimité... Est-ce le résultat de notre nouvelle tolérance aux fortes chaleurs d'un habitacle de voiture ne nous ménageant pas ? Je ne pense pas.
L'Hermitage La Chapelle Jaboulet, ce vin mythique que l'on s'arrache sur toutes les places mondiales dédiées au vin, n'est néanmoins que le résultat conjugué d'un terroir d'exception et du travail précis et respectueux d'une terre unique. Contrairement au travail effectué par d'autres maisons de l'Hermitage, la Chapelle est un assemblage des divers terroirs plantés de syrah : Les Bessards sont la partie granitique, procurant rigueur, acidité, tanins serrés et allongés ; Le Méal est un mélange caillouteux blanc, exposé sud, protégé du vent, les vins y sont plus mûrs, apportant du gras et de la chair ; Les Rocoules est un terroir plus tardif, les cailloux y sont plus gros et les sols plus argileux, les jus y sont structurants et portés par une acidité plus importante ; enfin, sur Les Murets, les sols sont faits de cailloutis fins et assez sableux, donnant des vins tendres, tout en douceur, enrobés et souples.
C'est cette complémentarité qui pousse la maison Jaboulet à assembler ces différents terroirs, pour donner à chaque millésime l'expression la plus complète de l'Hermitage.
Ainsi, après une découverte des sols de la fameuse colline de l'Hermitage, c'est, notre quille de Chapelle 2007 sous le bras, que nous grimpons boire une Chapelle à la Chapelle. Un 2007, passé 15 mois dans le bois, qui, après quelques minutes d'aération, envoûte par la densité de son bouquet plein de jeunesse. La syrah y est courtoise et avenante, livrant ses notes d'encre de Chine comme on noircirait des feuillets, porté par une inspiration liquide. Un bouquet de fleurs semble s'offrir à nous, un peu de jasmin, une touche de pivoine, légèrement épicée, titille la curiosité d'une gorgée se faisant attendre. La bouche est tout en souplesse, tapissant le palais d'une fraiche onctuosité ; un peu de cacao, du poivre et une empreinte sauvage finissent de ravir nos papilles, averties dès à présent qu'un grand vin verra le jour d'ici quelques années, voire décennies. Car, malgré le discours affable de ces quelques verres, c'est un jus en culotte courte qu'il nous aura été donné de goûter.
Le verre planté au milieu des ceps tortueux nous ayant livrés ce breuvage, déguster le potentiel évident de cette Chapelle devenait rapidement un plaisir délassant, mêlant allègrement méditation et quiétude, posés que nous étions, face aux courbes sinueuses d'un Rhône aux allures de chemin de campagne se dessinant sur l'horizon. Encenser une étiquette est une chose, en découvrir la grandeur, les pieds roulant sur le cailloux prévenants dormant au pied de chaque souche, en est une autre. Surtout quand la confirmation de la pérennité d'un vin emblématique se fait sentir.
L'émotion au rendez-vous, nous ne buvions plus une Chapelle à la Chapelle, nous la ressentions. Et à l'heure où le soleil commençait sa descente vers le lendemain, c'est un autre symbole qui se rappelait à nous : notre bonne vieille 2CV...! car le temps se faisait rare et nous devions, dès à présent, poursuivre notre périple autour de quelques bouteilles de la rive d'en face, mais ça, c'est une autre histoire...
...à suivre (la semaine prochaine sur le blog de Guillaume)
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