Un peu de tri !

vendredi 12 septembre 2014

Ôde au corbières anglo-saxon...

Pause estivale... Profiter, dans ce coin reculé des Corbières, d'un de ces lieux où les bruits de la ville ne viennent pas bousculer la lenteur d'un été que l'on aime voir défiler au ralenti ; un lieu que le relief ciselé, dessiné par une roche sauvage, s'empresse de protéger des habitudes cocasses et fatigantes du plagiste en vacances, agissant, même les pieds dans l'eau, comme sur un périph bouché un jour de réunion vitale. Cette petite alcôve faite de quiétude, c'est Embres et Castelmaure, patelin assiégé par la vigne et nourri par le calme. Village vigneron où la cave coopérative semble avoir pris la place de l'église de nos campagnes, ici, les Saints se prénomment Massey ou John...

Alors, depuis notre lieu villégiature, autant vous le dire simplement :  « On est bien ! »
Embarqués dans ce séjour hors du temps, installés dans une ancienne bergerie, repère d'un peintre illuminé, il y a encore peu de temps, nous voilà donc au cœur des Corbières, poumon viticole audois d'une beauté à couper le souffle. Mais avant de vous entretenir des charmes liquides du coin, je suis bien obligé de vous parler un peu de notre hôte. Patrick Mary, le corse du village, vient en effet de retaper de main de maître ce vieux corps de ferme fait de pierres sèches. Une bâtisse posée "au bout de la route", un endroit qu'il appelle Le Maquis. Patrick, c'est l'homme à tout faire, le cantonnier du village, celui qui répare, rafistole ou rend possible ce qui parait infaisable. C'est ainsi grâce à lui que trône en bonne place un magnifique barbecue, plus proche de la cheminée hivernale que de l'édifice bancal de camping. C'est aussi, bien aidé il est vrai par un monticule sans limite apparente de ceps de carignan, sous ses mains qu'ont pu prendre vie ces instants joyeux où le four à pizza, lové dans un des murs de l'édifice, servait de lubrifiant social à ces soirées gourmandes où le temps avait toujours faim d'une suite. Bref, un lieu où l'on ne peut faire autrement que de s'arrêter bien plus qu'un moment.
Mais au delà du repos casanier exigé par les lieux, c'est tout un patrimoine qui trône au cœur de ces terres audoises. Une empreinte cathare, naturelle, gastronomique ou vinique, bien à l'étroit sur le calendrier des vacances dont on reluque avec regret la petitesse de la semaine réservée ici-bas.

Ce fut tout de même l'occasion de rendre visite à quelques têtes vigneronnes, parfois croisées dans le verre, mais ne permettant pas toujours une poignée de main sincère. Ainsi, après une petite demi-heure de route en direction de Sigean, une dizaine de filles de joie croisées sur le bord de la route, quelques girafes en fond d'écran, nous voilà à Peyriac-de-mer. Charmant petit village, dont les anciens marais salants méritent aussi le détour, Peyriac est aussi le lieu de résidence d'Hugo Stewart, un anglais au cœur délibérément tourné vers la France et l'amour de son terroir.
Les Clos Perdus, c'est une aventure hors du commun, la rencontre de l'utopie, de la tradition et du savoir-faire. En ce début de millénaire, c'est en partant en quête de terres délaissées, de paysages à fleur de peau, qu'Hugo (ex éleveur de champions à la queue en tire-bouchon dans la campagne anglaise) et Paul Old (ex danseur et chorégraphe au pays des kangourous) décident de vinifier quelques parcelles disséminées entre Corbières et reliefs du nord Roussillon. De petites parcelles, comme autant de personnalités posées aux quatre coins d'une palette au fort accent régional, qui trouvent un parfait terrain de jeu une fois les verres tendus.
De la Cuvée 101, un corbières traditionnel qui rafraîchit l'image parfois lourdaude de ces melting-pots confiturés défigurant la noblesse du carignan, au parfait Mire La Mer, mourvèdre sauvage et salin, pleinement épanoui les pieds dans l'eau, en passant par cet Extrême, blanc catalan issu de grenaches complantés de toutes couleurs, jouant les fil-de-féristes, pour dompter un volume intense conjugué à une colonne à la vivacité vertigineuse, les vins s'enchaînent dans une parfaite narration complexe et sans accro. Mais s'il devait y avoir un coup de cœur, ce serait sans nul doute celui que je partage maintenant avec le sieur Pousson : un corbières jouant les premiers violons, avec la fougue d'un Jimmy Page accroché à sa guitare, maltraitant son archet. Une finesse électrisante où le fruit semble libéré, pour venir nourrir le corps et l'esprit dans une apparente facilité au grain plein de subtilité. Une véritable claque nommée Prioundo, faite de grenache et de cinsault, qui livrera tout ou partie de son message au fil des bouteilles défiant la douloureuse attente d'un temps bonificateur.
Une rencontre ou le vocabulaire technique laisse place à la véracité de l'instant, où les discours se font discrets, laissant les échanges voguer dans la simple authenticité du plaisir partagé. Une dégustation qui se finira en Italie, pour la curiosité, prouvant d'ailleurs qu'il n'y a pas de meilleur vigneron que celui qui aiguise aussi sa curiosité chez les autres...

Nous descendons ensuite au rez-de-chaussée, se donner un petit aperçu des 2013 en cours d'élevage. Les jus défilent, dévoilant un évident très beau millésime à venir, quand dans un recoin de la pièce, de la pipette d'Hugo, sort soudain une de ces potions magiques que l'on aimerait sienne. Une cuvée réservée à une amie anglaise, un carignan mêlé de cinsault à folle pétulance, du style à vous faire passer un triste crachin d'outre-manche pour une journée de farniente, et ce, à la seule force d'un verre. Une nouvelle histoire intimiste jouant sa partition en à peine trois ou quatre cents bouteilles.
On aura bien goûté une dizaine d'autres de ces mélodies locales, tantôt imprégnées par le salin d'une côte baignant le village, tantôt enlevées par la tramontane flirtant avec ces pierres saillantes, ces cailloux, abris de fortune, à quelques kilomètres de là, d'autres vignes perdues sur les hauteurs d'un arrière pays sauvage, dont la beauté ne peut suggérer l'abandon.

L'aventure est belle, mais le résultat l'est tout autant. Qu'il est agréable de voir des histoires gorgées d'une sincérité débordante, menées à bien dans le respect d'une idée livrant à ceux qui pousseraient la porte des Clos Perdus, la garantie d'un vrai moment de plaisir. Cheers Hugo ! Et merci pour tout...   

David Farge "ABISTODENAS"

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