Le gras vous intrigue, vous émeut, peut-être même que vous lui vouez un culte pernicieux... Quoi qu'il en soit, si vous lisez ces quelques lignes, c'est bien car le gras vous questionne, vous interpelle et qu'il mérite que l'on s'y attarde, et vous avez raison.
Ce mois-ci, donc, me voici en charge d'administrer cette 71ème éditions des vendredis du vin. Destin saisonnier s'il en est (puisque c'est la seconde fois que j'officie en tant que tyran en chef de cette cérémonie vino-numérique), c'est avec un plaisir renouvelé que je me dévouais donc à présider aux destinées littéraires de notre passion commune : LE VIN.
Et pour m'attirer les services des plus belles plumes de la glouglousphère, afin de nourrir cette soif de découvertes liquides mensuelle, charge à moi de proposer à cette faune de soiffards scribouillards un sujet à la hauteur de leurs papilles. Alors, au sortir d'une introspection digne des plus grands rituels chamaniques, un thème est apparu, comme une évidence : LE GRAS.
Mais attention, pas n'importe quel gras, car au creux de mon dictionnaire personnel, plusieurs définitions cohabitent déjà.
Gras, grasse : adjectif (du latin populaire grassus, du latin classique crassus, épais)1- Qui a un humour douteux, notamment en fin de repas et parfois aussi un peu avant tout le monde.Ex : Maurice, 21h30, avant d'attaquer le fromage : « - Pourquoi les belges changent rarement les couches de leurs bébés ? Parce que sur l´emballage c´est écrit: "Jusqu´à 19 kg". - T'es gras Maurice ! »2- Qui contient du beurre en quantités suffisantes pour affronter la saison hivernale et le reste de l'année (ou tout autre corps gras reconnu pour son pouvoir isolant).Ex : « - T'es sûr qu'il est assez gras ton lard ? - T'as raison, passe moi le beurre Michel, j'ai froid... »3- Se dit d'un vin qui cocoone ton palais, le caresse et le dorlote avec le moelleux et l'onctuosité d'un morceau de sax un soir de Saint-Valentin.Ex : « - Avec ce vin j'ai l'impression d'avoir un édredon qui me cajole les papilles, c'est gras à souhait ! »
Voilà, ne reste plus qu'à choisir son orientation littéraire... On tirera d'ores et déjà un trait sur la première explication, non sens évident à l'heure de disserter de poésie liquide. Reste donc à voir la place que l'on souhaite accorder aux deux inséparables de la gourmandise, et trouver ainsi l'équilibre de cette narration grassouillette du verre et de l'assiette.
Mais le gras dans le vin, c'est aussi une histoire de goût... Pour moi, il rime avant tout avec vin blanc, la structure tannique du rouge contrebalançant aisément toute tentative d'intrusion adipeuse en son sein. Et surtout, qui dit gras, ne dit pas nécessairement manque d'acidité. Une acidité mordante que j'affectionne tout particulièrement, ne faisant pas forcément mauvais ménage avec notre potelé de service. D'autant plus s'il se dégote, au rayon bourrelets estivaux, un allié tel que le sucre, lui qui possède à mon humble avis tous les atouts pour jouer des coudes sur la balance des plaisirs plantureux du jour.
Alors, ce mois-ci, comme le thème imposé est empreint d'une évidente dimension affective, c'est d'un vin de famille, un vin de générations, dont je vais vous parler. Nous voilà de retour à Puimisson, chez Jeff Coutelou, pape du vin languedocien à haut niveau de buvabilité, pour y découvrir un brin d'Histoire, la vrai, celle avec un grand "H".
Une Histoire qui commence il y a plus de deux cents ans... non, je ne déconne pas. Ici, point de légende douteuse ou d'énième racontar mielleux, mais bel et bien, au fond de quelques bouteilles, un vécu plus que centenaire, dont le repos bonificateur fit face à l'abdication de Napoléon, aux échos de Verdun ou au premier disque d'or de Jean-Pierre Mader.
Une parcelle, tel est le point de départ. Une parcelle complantée, afin de laisser œuvrer le vent, comme pollinisateur de premier choix. Dans ces rangées, du grenache, du muscat, un peu d'autres choses... Un joyeux bordel savamment organisé, pour que la nature puisse œuvrer et que l'homme puisse travailler. Et au final, après plusieurs décennies de transmission orale, un homme, ayant la main mise sur un véritable livre d'Histoire.
Alors, dans ma bouteille, tirée à 24 exemplaires d'une barrique qui n'en demandait pas tant, c'est comme une parenthèse sur le passé qui s'ouvre, balayant d'un revers de main l'attentisme tout relatif que ce vin de méditation semblait dégager. Car derrière cette longue attente, c'est une transmission intergénérationnelle qui suinte inexorablement de nos verres.
Ici, le gras c'est l'alcool, le grenache le magicien, le temps la raison...
Ici, le gras c'est l'alcool, le grenache le magicien, le temps la raison...
Le nez transpire une résine vive et gourmande, le café, le tabac, mais aussi la figue fraîche et le cacao se mêlent à cette orchestration d'envergure. Et le poids des ans trouve finalement toute sa légèreté dans un équilibre dont seule l'alchimie du temps passé possède la clé. Le rancio se fait discret, mais souligne pleinement une trame fougueuse que l'on sent inépuisable. À ce moment précis, le gras se doit d'enrober l'ossature si dense et bavarde de notre arbre généalogique liquide façonné en pays biterrois.
Lui, nu comme un ver, nourrit au simple jus de raisin familial, bâti dans l'humilité des échanges de générations, construit sa cuirasse avec ses armes : une vivacité conjuguée à l'amplitude dodue d'un caractère hors du commun. En somme, une belle définition du gras, ce compagnon fidèle et généreux, spirituel à souhait, souvent sublimé par la mélodie d'une belle soirée, au coin d'un feu de cheminée, lors d'un de ces songes d'une nuit automnale, où le temps, comme à ses débuts, doit pourvoir faire son œuvre...
Oui, le GRAS, c'est bien la VIE.
Ce gras noble, nappant depuis sa genèse les douelles marquées par le sceau d'une famille que la liqueur de ces jus de mémoire enveloppe, porte ainsi en son cœur toute une existence. Une existence qu'on l'on prendra plaisir à enlacer tendrement, embrassant un instant du bout des lèvres le dessein de ce vestige du temps passé, à l'avenir encore radieux.
Oui, le GRAS, c'est bien la VIE.
Ce gras noble, nappant depuis sa genèse les douelles marquées par le sceau d'une famille que la liqueur de ces jus de mémoire enveloppe, porte ainsi en son cœur toute une existence. Une existence qu'on l'on prendra plaisir à enlacer tendrement, embrassant un instant du bout des lèvres le dessein de ce vestige du temps passé, à l'avenir encore radieux.
Celui qui veut conquérir la joie,
Malgré lui, la brisera ;
Celui qui, quand elle passe, sait doucement l'embrasser
Pourra toute sa vie en profiter.
Malgré lui, la brisera ;
Celui qui, quand elle passe, sait doucement l'embrasser
Pourra toute sa vie en profiter.
He who binds to himself a joy
Does the winged life destroy;
But he who kisses the joy as it flies
Lives in eternity's sun rise.
Does the winged life destroy;
But he who kisses the joy as it flies
Lives in eternity's sun rise.
William Blake
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