L'information nous est parvenue en fin de matinée. Suite à l'erreur d'un stagiaire de l'agence en charge de la réalisation du logo pour le label "FAIT MAISON", c'est une iconographie amputée d'une part de son message qui a été dévoilée au grand public.
Le décret paru le 11 juillet dernier, visant à rassurer la clientèle des restaurants de l'hexagone quant à la qualité des repas qui leur sont servis, se devait d'être rapidement mis en place et ainsi identifiable par tous. En effet, à l'heure des premiers repas de vacances, les terrasses installées et surtout un soleil enfin retrouvé, c'est toute une profession qui finalement souffle à l'aube du cœur de la saison estivale. Car quoi de plus désagréable, de plus injuste, que de se voir mis sur un pied d'équité avec son voisin de palier, quand on fait son marché chaque matin, respectant la saisonnalité des produits, n'utilisant que du frais, quand lui, propose à peu près toutes les spécialités de France et de Navarre, 365 jours par an, en usant des charmes de l'industrie agro-alimentaire... Alors certes, on ne peut afficher une carte longue comme le bras, mais la sincérité de l'ardoise présentée chaque matin ne fait plus de doute, si l'on prend le temps d'y réfléchir un peu.
C'est en tout cas ce que Jérémie, 26 ans, stagiaire dans une célèbre boîte de comm' parisienne, s'était mis en tête ce 11 juillet quand en toute urgence, on lui demanda de proposer une iconographie novatrice pour porter cette mesure gouvernementale censée réhabiliter la vrai cuisine : cocotte en fonte, terroir, et tout le tralala...
Repensant aux repas de jeunesse de sa province natale, où le grill et la cheminée étaient les foyers de ses nombreux souvenirs gourmands, il se revoyait en famille pousser la porte de ces estaminets proposant une cuisine simple mais goûteuse, loin du chichi-pompon des esbroufes culinaires d'aujourd'hui. Il n'est pas bien vieux le Jérémie, mais que voulez-vous, le bon sens n'attend pas le poids des années pour marquer au fer rouge les bonnes consciences épicuriennes. Et puis il y a aussi ces repas de fête, que l'on prend encore, sur les nappes immaculées des belles tables de France. Des lieux où la cuisine se respecte, on enfile donc ses habits du dimanche avant de se nouer une blanche et grande serviette autour du cou. Oui, Jérémie se voulait nostalgique, et synthétisa sa pensée d'un coup de crayon moderne, symbolisant, pour la bonne cause, sa passion de fin gastronome : une casserole réchauffant les sous-pentes d'un établissement aux allures de foyer intimiste. Simple, efficace.
Mais voilà, Jérémie n'avait pas pris le temps de lire ce fameux décret, de s'imprégner de sa substantifique moelle. Il avait ainsi omis d'intégrer le plus important : au pays de la liberté, de la tolérance et de l'ouverture d'esprit, il avait oublié qu'une grande partie de la restauration vivait sous tutelle d'une industrie soucieuse de la réussite de tous. Alors comme une main tendue vers une profession infantilisée au point de ne pas la croire capable de cuisiner, l’État, toujours dans cette volonté d'accompagnement, autorisait l'introduction des produits surgelés sous la dénomination "fait maison". Les produits surgelés, mais aussi tout un tas de préparations permettant aux cuisines de ces restaurants adeptes de la chose, de rester dignes d'un atelier franchisé IKEA, où la popote en kit règne en maître.
Devant tant d'égoïsme, Jérémie a été immédiatement démis de ses fonctions de stagiaire, et le propos un tantinet présomptueux de son premier jet, fut rapidement repris pour donner enfin une version plus juste et sincère de la noble définition du "fait maison". La prétention de bon goût de ce jeune enfin matée, la cuisine française pouvait enfin respirer et reprendre une activité normale, ouf !
David Farge "ABISTODENAS"
David Farge "ABISTODENAS"
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