Une partie de ma famille est bordelaise. J'ai bu beaucoup de Bordeaux. Mais dans l'inculture étroitement liée aux étoiles scintillantes des classements dédiés aux érudits aveuglés par leur environnement, j'ai bu trop de mauvais bordeaux pour en faire une quelconque référence pinardière, encore moins mon plaisir quotidien. Et ce ne sera pas le listing des canons ouverts depuis janvier qui dira le contraire : depuis le début de cette année, ce sont moins d'une petite dizaine de bouteilles girondines qui auraient subi les sévices de mon tire-bouchon. Non pas que je souhaite particulièrement me nourrir du Bordeaux bashing en vogue dans les arrière-cours parisiennes, mais clairement, j'ai souvent eu mieux à voir ou à siroter bien ailleurs en France. Maintenant, en bon défenseur des argumentations un minimum étayées, je ne pouvais non plus céder aux sirènes des exemples à valeur de généralités abusives. Pour preuve, ces derniers mois, mes expériences bordelaises, dans le clinquant de leurs apparences typées "tête de gondole", ne surent me dire quoi penser, mes papilles balançant entre déception à grande échelle et coup de cœur renversant.
Alors, dans ce climat de défiance, l'abstinence bordelaise fut un temps une solution convenable. D'autant plus qu'une certaine oisiveté régionale, faisait de moi le plus heureux des hommes. Arrosé au grenache, au carignan ou au cinsault, le quotidien liquide ancré dans un Languedoc tout proche n'est, en effet, en rien besogneux.
Mais la curiosité n'étant pas mon moindre défaut, dans un regain d’empathie pour les mocassins à glands et les pulls noués autour du cou, je décidais après quelques dégustations prometteuses et lectures affriolantes, de revêtir mes habits du dimanche pour pousser la porte de Monsieur mon caviste. Et me voilà donc, en bon dernier de la classe, enfin avec ma quille signée Thierry Valette. Une cuvée Pervenche 2012, comme la promesse avant-coureuse d'un PV pour discrimination à l'embauche insoluble dans ma connerie anti-bordelaise du moment.
Tout d'abord, la famille Valette, c'est l'histoire de plusieurs générations ayant roulé leur bosse dans le monde du vin : du négoce à l'international, aux terroirs de Saint-Émilion. Quant à Thierry, c'est d'abord par la danse et le jazz qu'il tente de générer des émotions. Puis, il revient aux premières amours familiales, et s'ancre à nouveau en terre vigneronne, avec cette idée de vouloir faire « des vins tendus, affutés, avec de la minéralité, de la puissance certes, mais en énergie et non en alcool ni en boisé. »
C'est dans cette dynamique que Thierry Valette s'investit alors pleinement au cœur du Clos Puy Arnaud, sur les terroirs méconnus de la rive droite, tout proche du clinquant de Saint-Émilion. Une majorité de merlot, un sensibilité certaine pour le cabernet-franc, une approche biodynamique, la fraîcheur d'un terroir ou affleure presque la roche mère et un travail ne laissant rien au hasard, de la terre jusqu'au verre, permettent ainsi au domaine de proposer trois cuvées rouges aux expressions diverses. Pour avoir pu goûter à plusieurs reprises au grand vin sur de récents millésimes, je dois bien avouer, que coincé dans une dégustation de quelques dizaines d'échantillons, la projection ne fut pas forcément aisée. À chaque fois, le plaisir fut au rendez-vous, moins les émotions. Alors, quand aujourd'hui je prenais enfin possession de cette Pervenche prête à se dénuder au creux de quelques verres, la neutralité était effectivement de rigueur.
Il ne fallut cependant que quelques instants, un nez furtivement passé au dessus du verre, une gorgée vite expédiée entre deux coups de couteaux dévoués au repas dominical, pour que le charme agisse pleinement.
Un nez fougueux, sans aucune prétention nobiliaire, simplement du fruit, rehaussé d'une fine couche d'épices... L'attention se fixe alors pleinement sur ce verre, et finalement le repas attendra un peu. L'attaque, toute en délicatesse tapisse généreusement une bouche attendrie par la pureté d'un jus que l'on sent traçant. Le vin ne se boit pas, il glisse, coule littéralement. Devant la jeunesse du canon, l'allonge et la complexité qui emplissent alors tout le palais ne sont qu'une prolongation inattendue d'un plaisir intense. Les larges épaules de ce confortable bonheur liquide dégagent ainsi toute la palette d'un voyage rassérénant où se mêlent tour à tour : cuir, mûres sauvages et juteuses, poivre fin et une légère pointe de fraicheur mentholée semblable à cette brise estivale synonyme d'évasion.
Quel plaisir ! Et surtout quelle connerie d'avoir un temps tourné le dos à ce vigneron sur son seul pedigree régional. Comme si le paysage vinicole était une vaste caricature faite de généralités simplistes... Allez, j'ai bien mérité mon PV, mais avant, en bon malotru adepte des goujateries caloriques en tout genre, laissez moi abuser de la Pervenche !
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